Je traîne…je traîne …il est temps de lever l’ancre pour le chemin de retour. Je ne peux rester plus longtemps au risque de me retrouver dans l’illégalité, il faut que je fasse faire les prolongations administratives de mon bateau. Les douanes sénégalaises ne pardonnent pas.
Le retour par les bolons (canaux) ne pose pas de problème. Je reconnais la route inverse et prends bien soin de me situer à l’intérieur des virages, éviter ainsi les hauts fonds dangereux. La mangrove s’éloigne, le delta s’élargit en une immense étendue d’eau jusqu’à la mer.
Le retour en mer se fera face au vent, à moins d’une renverse des vents dominants qui me permettrait de bénéficier d’un vent de terre sur le travers. Les prévisions météo ne vont pas dans ce sens, il va falloir prévoir d’utiliser le moteur, la remontée à la voile seule risque d’être longue et fastidieuse.
Il me faut une réserve de sécurité de gasoil plus importante, j’ai pas mal consommé en circulant dans les bolons. Je décide de m’arrêter à DJIFER, un village de pêcheurs situé tout au long d’une lagune de terre, juste à l’embouchure du Saloum. J’espère y trouver du gasoil.
Après avoir sondé le fond en plusieurs passages, je choisis de mouiller près d’une grande bâtisse qui semble abandonnée. Elle est desservie par un ponton. Cela me semble bien pratique pour débarquer. En fait, le ponton est dans un tel état de vétusté que finalement je débarque directement sur la plage pour éviter d’abîmer l’annexe.
Devant moi pointent et s’alignent sur la plage les proues de centaines de pirogues décorées, colorées.
Impressionnant.Une odeur forte de poisson (pas très frais…) me prend aux narines. Je distingue une forte activité. Sur une considérable superficie j’identifie des pécheurs, des femmes, des hommes qui s’activent, ils ouvrent des poissons, vident des coquillages, étalent les chairs sur de grandes claies bancales pour les faire sécher. Au milieu gambadent chèvres, poules et volent des mouches.
Jérôme est toujours avec moi. Lorsque nous avons débarqué sur la plage, deux types semblaient nous attendre. Un peu parano (à l’occidentale), après un petit salut, je m’éloigne rapidement . Je me retourne, ils nous suivent. Je presse le pas, bifurque, ils s’accrochent à nos pas.
Jérôme, plus détendu, les salut de nouveau. La conversation s’engage. Le plus entreprenant nous propose ses services, on peut visiter le village avec lui.
Une amie (de Serria Leone) m’a dit : « tu sais, les blancs, lorsque tu leur adresses spontanément la parole, ils se méfient et se détournent en pensant « mais qu’est qu’il me veut celui-là ». Nous, les africains, on accepte d’être interpellé, on engage la conversation et l’on sait ainsi ce que veut la personne… C’est plus simple. »
Il s’appelle Omar diallo. Il est guide touristique et piroguier dans le Saloum.
Omar m’explique qu’il est au chômage, il n’y a plus de clients, il me montre la bâtisse abandonnée d’un grand hôtel.
Pour survivre, il fabrique des boîtes, confectionne personnages et animaux avec des noix de coco et des coquillages.
A venir : un portrait d’Omar sur Visages/Documentaires
Depuis peu le Sénégal a renforcé ses procédures administratives pour entrer au pays.
Le discours de Dakar par Nicolas Sarkosy a été une catastrophe en ce qui concerne les liens qui unissaient le Sénégal et la France.
« l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. […] Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance. […] Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès ».
Une des conséquences a été l’établissement de visas pour les Français et par conséquent un effondrement de l’industrie du tourisme.
Il est juste de dire aussi que la crainte d’Ebola (un seul cas au Sénégal) et de la montée de l’intégrisme religieux dans les pays voisins y sont aussi pour quelque chose.
A Djifer cohabitent toutes les ethnies du Sénégal, Wolofs, Peuls et Toucouleurs et bien sur les Sérères. Une population de pêcheurs qui s’active sur une étroite bande de terre et de sable, la pointe de Sangomar. Une partie de la pointe c’est déjà effondrée sous l’effet d’une tempête entraînant la perte de plusieurs bâtiments.
Toute la plage (côté Saloum) est couverte de centaines de pirogues colorées. Chaque communauté a ses couleurs. Il y a certainement les pirogues des villages de Bassoul, Nghadior ou Bassar parmi la multitude. Il faut bien une dizaine d’hommes pour mettre à l’eau et sortir ces embarcations de l’eau.
Le matin de bonne heure on peut voir des dizaines de barques partir ensemble en mer, le spectacle est magnifique. Je constate qu’ils n’ont aucun instrument de navigation à bord, certains partent pourtant pour plus d’une journée et se déplacent bien loin des cotes. Je demande à un pêcheur comment ils font pour se repérer. Il m’explique que c’est le sens des vagues, du vent, la couleur de l’eau et la disposition des étoiles qui sont leurs repères. Ils peuvent, en observant tous ces éléments, savoir où ils sont, vers où aller.
Que ferais-je moi sans mon GPS ?
Je tourne autour d’immenses amas coquilliers, une tradition dans le Saloum. À longueur de journée, des hommes et femmes décortiquent des lambis géants pour les faire sécher. Les coquillages vides sont entassés en de véritables collines sur lesquelles gravitent les chèvres et jouent les enfants.
Ailleurs, des poissons de toutes sortes sont ouverts pour être séchés sur des filets surélevés. Les déchets sont laissés sur place ce qui occasionne des odeurs, disons …fortes (qui a dit nauséabondes ?).
On est loin (dans tous les sens du terme) des directives sanitaires européennes draconiennes.
Attendent sur un parking cabossé des camions réfrigérés qui embarquent le poisson frais certainement en direction de Dakar. L’environnement salin, la piste chaotique ont eu raison des carrosseries à demi rouillées recouvertes de poussière rouge.
Au centre de la presqu’île, une rue de sable est la principale artère du village. En fait, c’est la fin de la route, de la piste qui mène à Djifer . De chaque côté de l’artère rectiligne des maisons à toits plats fabriquées avec des matériaux de récupération. Chiens, poules et chèvres y circulent librement au milieu des passants. Hé ! Je suis Corto Maltese dans un Far West africain.
Pour parfaire l’illusion on passe d’ailleurs la soirée dans une gargote, où se côtoient à la lueur de la bougie, sous un plafond bas, des aventuriers, roots de tous poils. Il y a comme une ambiance de conspiration. Omar m’explique, en murmurant, que le groupe de blancs, là-bas, vient chaque année de France avec un camion chargé d’un tas d’objets. Tout est vendu au fur et à mesure sur la route. En arrivant, ils vendent le camion (de toute façon impossible d’aller plus loin, on est en bout de piste), passent du bon temps à Djifér et repartent pour un autre périple… Hé ! Je suis Indiana Jones…
Le lendemain, je fais part à Omar de mon problème de gasoil. J’ai cherché, ici on ne vend que de l’essence ordinaire ou du mélange, la plupart des moteurs hors-bord des pirogues sont des 2 temps.
On va en trouver, me dit-il.
Omar me présente un jeune garçon et sa mobylette. J’ai besoin de 40 litres de gasoil environ. Je m’assure qu’il sera de bonne qualité. Aucune inquiétude, nous sommes ensemble. (entendre : nos liens sont fraternels et loyaux )
Je n’ai qu’un bidon de 20 litres, faudra-t-il faire 2 allers retour ? Là aussi, pas de problème, on va te trouver un deuxième bidon.
Le jeune garçon me demande si je veux venir. Heummm !…40 litres de gasoil à deux, sur une vieille mobylette rafistolée, au travers d’une piste défoncée…je pense que ça ne va pas le faire. Je décline gentiment l’invitation et paye d’avance.
Le cyclomoteur slalome entre les creux de la route, s’éloigne dans un nuage de latérite rouge.
Je pense récupérer rapidement mes bidons. Omar m’annonce qu’il ne reviendra qu’en fin de journée…(!!!!!!????…)
Effectivement, ce n’est que le soir, 6 heures plus tard, que je récupère mon gasoil. J’hérite d’un bidon supplémentaire qui n’est autre qu’un bidon d’huile d’olive recyclé rouge de poussière.
Où est-il allé me ravitailler ? Je ne le saurais pas.
J’achète de gros coquillages, de gros lambis. La nuit tombée, Omar et un de ses camarades allument un feu sur la plage pour les cuire directement dans leurs coquilles (pas besoin de poêle). Succulent, on se régale. Ambiance enchanteresse.
Le lendemain, nous levons l’ancre pour revenir à Dakar. Je choisis de partir en fin d’après-midi afin de franchir la passe d’entrée du delta de jour. Je ne suis pas sûr que les balises du chenal soient toutes lumineuses. La remontée se fera la nuit pour arriver également de jour à Dakar.
Pas de lune, dans le noir difficile de repérer les nombreuses pirogues qui croisent ma route. Ils ne s’éclairent que par intermittence et par éclats, heureusement qu’ils sont plus rapides que moi et peuvent me voir, j’ai mes feux de navigation. J’entends leur moteur, mais ne les localise pas toujours. Prudence de tous les instants. Hantise de passer en travers d’un filet.
L’ile de Goré est enfin en vue, Ouffenfin retrouve la plage de Hann, mouille devant le CVD, le Centre de Voile de Dakar.