carnet de bord
le CVD (Cercle de Voile de Dakar)
L’île de Goré est enfin en vue, Ouffenfin retrouve la plage de Hann, mouille devant le CVD, le Cercle de Voile de Dakar. Le Cercle de Voile de Dakar (CVD) est le havre quasi incontournable de tout navigateur en atterrissage au Sénégal.
Ce n’est pas une marina, mais un lieu de mouillage qui offre à terre de nombreux services aux équipages en escale.
« Cette marina est originale par son fonctionnement. En effet, c’est une association à but non lucratif dont les membres sont « nous-mêmes », les navigateurs TDM de passage et ceux qui résident sur place dans leur bateau. Elle existe depuis 1939 et à su exister jusqu’à nos jours. Elle fut un club nautique local très actif pendant de nombreuses années. Dans les années 1980 le CVD à reçu de fameux skippers comme Eric Tabarly, Loic Caradec, Florence Arthaud et bien d’autres navigateurs connus et moins connus à l’époque de la régate La Baule Dakar dans les années 1980. »
Extrait du site de l’association.
http://cvdakar.e-monsite.com/pages/qui-sommes-nous.html
Voilà pour la présentation. Je vais donc m’installer au mouillage pour un mois ou deux le temps de terminer un film pour VSF et …passer du bon temps avec mes amis sénégalais.
Les papiers de prolongation de séjour sont faits au pas de course, poste de police (mole 2) pour le visa et douanes pour le bateau (mole 10). (Prendre un taxi, appeler Mango, il connaît bien le parcours du « skipper combattant » et est hyper sympa). Il faut demander une autorisation d’importation temporaire du bateau, attendre l’autorisation et ce n’est pas fini…il faut passer par un transitaire pour l’autorisation définitive. Attendre, attendre, et payer… Une semaine de retard, c’est bakchich assuré, gaffe. Quel soulagement le jour où tout est en règle. On peut passer à autre chose en (presque) toute quiétude.
Le CVD est le sas d’entrée de Dakar.
Le lieu est clos, il offre une multitude de services, un club-house (avec une cheminée…on ne sait jamais) où il fait bon se retrouver entre marins et fidèles locaux. À ce stade du voyage, on a tout plein d’histoires à se raconter en sirotant la bière locale « la gazelle ». Le wifi (devenue la drogue de tout nomade) y est poussif, mais bien pratique. Un bar, des tables, canapé et fauteuils d’osier, on peut y commander à boire et à manger. Dans cette ambiance, enveloppé de musique sénégalaise, s’ignorer les uns les autres est impossible, les langues se dénouent, les amitiés se nouent.
L’espace est propice à l’organisation de fêtes. Noël, année nouvelle, baptême, on ne laisse pas passer une occasion de s’amuser.
Dans l’enceinte extérieure, des voyageurs ont laissé sur les murs leurs traces, peintures, légendes, dictons. Parfum d’aventure.
On y trouve un atelier de mécanique (c’est le royaume de Moussa qui m’aidera à changer mes batteries au meilleur prix) et même une voilerie. Nous sommes au Sénégal, le royaume de la débrouille, quel que soit votre problème, on trouvera une solution. Ton annexe est foutue…t’inquiètes…
Incontournables les Mamas…
On n’échappe pas aux Mamas drapées dans leurs boubous jovialement colorés.
Mama Tissus ou Sofi (on dit aussi Mama bijoux) :
Elle a son stand de bijoux entre deux arbres juste devant la baie, son stand de tissus un peu plus loin. L’oeil vif, elle repère le moindre mouvement sur l’eau. Une voile à l’horizon, un client potentiel, sourire. C’est une redoutable vendeuse, patiente, elle ne lâche pas prise. Je lui ai acheté, un pantalon et deux chemises sénégalaises, elle m’a recousu 5 boutons, reprisé une déchirure, confectionné 2 pavillons (drapeaux) un Sénégalais et un autre Cap Verdien. (pas facile le drapeau du Cap-Vert avec les étoiles). Je ne compte pas les babioles.
Mama Nougat.
Une bassine en fer-blanc remplie de nougats en équilibre sur la tête, chaque nouvel arrivant doit inéluctablement faire sa connaissance. Elle s’assoit à côté de toi, t’enveloppe de jovialité et finit par te vendre un ou plusieurs paquets de nougats, bien sûr, absolument indispensables à la suite de ton périple. Je ne mange pas de nougats (trop sucrés) et pourtant j’en ai à bord une sérieuse réserve.
Mama lessive ou Fatou.
Elle règne en maître sur une armée de bassines. Elle lave, pour quelques euros, le linge sale des équipages en escale. Ne vous fiez pas à son visage bougon, elle déborde d’humour façon « pince sans rire ». Elle rend un linge parfaitement plié et rangé. Son travail est exténuant, elle rêve d’une machine à laver pour « appuyer sur le bouton et pouvoir dormir… » dit elle.
Mama légume.
Mama légume se situe devant le portail d’entrée du CVD, ce qui lui permet de faire affaire aussi avec les gens de l’extérieur.
Leurs revenus sont faibles, pourtant, elles nourrissent ainsi leur famille et assurent la scolarité de leurs enfants.
Je peux citer également Mamadou et Moustapha, hommes tout terrain qui peuvent aller chercher les marins en annexe, transporter de l’eau, du gaz, nettoyer, gardienner les bateaux en l’absence de leurs propriétaires, et bien d’autres choses encore.
Si vous décidez de sortir le bateau de l’eau pour une petite toilette ou une réparation, pas de soucis, un chariot (qui en a vu d’autres…) et un câble le tire sur la plage. Et, pleins de bras disponible pour vous aider moyennant quelques francs CFA.
Voilà pour tout ce petit monde qui gravite autour du mouillage, pardon à ceux que je ne cite pas.
Sachez que leurs seuls revenus sont ceux générés par les services que vous leur demandez.
À l’extérieur de l’enceinte les premières rues de Dakar. Des gargotes aux tôles mal jointes où d’autres mamas accroupies à même le sol cuisinent Tieboudienne et mafé, des boutiques ou l’on trouve tout ou presque tout …pour peu qu’on le demande. Un cordonnier, des marchands de légumes ambulants, un marché aux poissons, extraordinaire, un sculpteur de rue, Sow, (l’autre Sow) dont je vais faire le portrait filmé. Voir : Visages/portraits
Et puis quelque chose que je vais avoir beaucoup de mal à décrire, c’est l’odeur, une odeur qui semble de dégager du continent tout entier. Une odeur envoûtante, l’esprit de l’Afrique. J’ai commencé à en sentir les effets au large de la Mauritanie, portée en intermittence par les vents de terre, les premiers alizés. Un mélange chaud, de terre, de sable, épais comme des effluves d’encens.
Il faut éviter de se situer trop près du bord, on ne sait jamais, j’ai choisi un emplacement à bonne distance de la plage hors de portée d’un nageur moyen. Le matin et le soir se croisent autour du bateau des pirogues de pêcheurs qui vont et viennent pour alimenter une partie du marché aux poissons. Au-dessus, attirés par les pécheurs, des Milans tournoient. Il n’est pas rare de trouver, sur le bateau ou au sol, des tronçons de poisson qu’ils laissent tomber en vol.
Les vents soufflent de manière constante (sauf exception) d’est, nord-est, nord. En hiver, le vent du nord est chargé de poussières jaunes, grises. C’est l’harmatan. Il serait responsable de plusieurs pathologies, rhumes, affections pulmonaires et même bacille de Koch. Comme il ne pleut pas en cette période, le bateau est très vite recouvert d’un voile jaunâtre. Le sable s’infiltre partout, il est nécessaire de protéger les voiles si l’on ne veut pas les retrouver couleur parchemin.
Pas de houle, la baie est bien protégée, par contre le vent peut forcir et monter à 30 noeuds et plus (environ 60 km/h) dans les alizés. Heureusement, les fonds sont de très bonne tenue.
La plage de Hann, en face du mouillage, était, paraît-il, l’une des plus belles plages de Dakar. Un paradis disent les anciens. Ce n’est malheureusement plus le cas, un canal déverse non loin de là des eaux usées aux émanations nauséabondes. À l’origine, ce canal devait servir uniquement à l’évacuation des eaux de pluie. La population de Dakar n’a pas cessé depuis d’augmenter, le réseau d’égout n’a pas suivi, les eaux usées grises et noires se sont mélangées aux eaux de ruissellement. Le canal qui coule en plein air en est saturé. On l’appelle complaisamment « rio merdo ». Pour des raisons d’hygiène, interdis de faire trempette à proximité.
Beaucoup de bateaux français autour de moi, dont une majorité de bateaux « Bretons ». Cela m’agace et pour me différencier, bien que je ne sois pas un fanatique de la bannière, je hisse le drapeau basque pour bien marquer à mon tour mes origines ethniques…y’a pas de raisons. Un matin, je découvre un bateau arrivé au petit matin. C’est Jujube, un Basque pur jus qui a repéré le drapeau et est venu mouiller à côté de moi. Il arrive de Bayonne. Un bon copain de plus, chic !
Un village flottant éphémère qui se retrouve, tous les soirs, en annexe, ensemble au club house. (boire la « gazelle »).
Retour sur Dakar, Djifer le village de pêcheurs
Je traîne…je traîne …il est temps de lever l’ancre pour le chemin de retour. Je ne peux rester plus longtemps au risque de me retrouver dans l’illégalité, il faut que je fasse faire les prolongations administratives de mon bateau. Les douanes sénégalaises ne pardonnent pas.
Le retour par les bolons (canaux) ne pose pas de problème. Je reconnais la route inverse et prends bien soin de me situer à l’intérieur des virages, éviter ainsi les hauts fonds dangereux. La mangrove s’éloigne, le delta s’élargit en une immense étendue d’eau jusqu’à la mer.
Le retour en mer se fera face au vent, à moins d’une renverse des vents dominants qui me permettrait de bénéficier d’un vent de terre sur le travers. Les prévisions météo ne vont pas dans ce sens, il va falloir prévoir d’utiliser le moteur, la remontée à la voile seule risque d’être longue et fastidieuse.
Il me faut une réserve de sécurité de gasoil plus importante, j’ai pas mal consommé en circulant dans les bolons. Je décide de m’arrêter à DJIFER, un village de pêcheurs situé tout au long d’une lagune de terre, juste à l’embouchure du Saloum. J’espère y trouver du gasoil.
Après avoir sondé le fond en plusieurs passages, je choisis de mouiller près d’une grande bâtisse qui semble abandonnée. Elle est desservie par un ponton. Cela me semble bien pratique pour débarquer. En fait, le ponton est dans un tel état de vétusté que finalement je débarque directement sur la plage pour éviter d’abîmer l’annexe.
Devant moi pointent et s’alignent sur la plage les proues de centaines de pirogues décorées, colorées.
Impressionnant.Une odeur forte de poisson (pas très frais…) me prend aux narines. Je distingue une forte activité. Sur une considérable superficie j’identifie des pécheurs, des femmes, des hommes qui s’activent, ils ouvrent des poissons, vident des coquillages, étalent les chairs sur de grandes claies bancales pour les faire sécher. Au milieu gambadent chèvres, poules et volent des mouches.
Jérôme est toujours avec moi. Lorsque nous avons débarqué sur la plage, deux types semblaient nous attendre. Un peu parano (à l’occidentale), après un petit salut, je m’éloigne rapidement . Je me retourne, ils nous suivent. Je presse le pas, bifurque, ils s’accrochent à nos pas.
Jérôme, plus détendu, les salut de nouveau. La conversation s’engage. Le plus entreprenant nous propose ses services, on peut visiter le village avec lui.
Une amie (de Serria Leone) m’a dit : « tu sais, les blancs, lorsque tu leur adresses spontanément la parole, ils se méfient et se détournent en pensant « mais qu’est qu’il me veut celui-là ». Nous, les africains, on accepte d’être interpellé, on engage la conversation et l’on sait ainsi ce que veut la personne… C’est plus simple. »
Il s’appelle Omar diallo. Il est guide touristique et piroguier dans le Saloum.
Omar m’explique qu’il est au chômage, il n’y a plus de clients, il me montre la bâtisse abandonnée d’un grand hôtel.
Pour survivre, il fabrique des boîtes, confectionne personnages et animaux avec des noix de coco et des coquillages.
A venir : un portrait d’Omar sur Visages/Documentaires
Depuis peu le Sénégal a renforcé ses procédures administratives pour entrer au pays.
Le discours de Dakar par Nicolas Sarkosy a été une catastrophe en ce qui concerne les liens qui unissaient le Sénégal et la France.
« l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. […] Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance. […] Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès ».
Une des conséquences a été l’établissement de visas pour les Français et par conséquent un effondrement de l’industrie du tourisme.
Il est juste de dire aussi que la crainte d’Ebola (un seul cas au Sénégal) et de la montée de l’intégrisme religieux dans les pays voisins y sont aussi pour quelque chose.
A Djifer cohabitent toutes les ethnies du Sénégal, Wolofs, Peuls et Toucouleurs et bien sur les Sérères. Une population de pêcheurs qui s’active sur une étroite bande de terre et de sable, la pointe de Sangomar. Une partie de la pointe c’est déjà effondrée sous l’effet d’une tempête entraînant la perte de plusieurs bâtiments.
Toute la plage (côté Saloum) est couverte de centaines de pirogues colorées. Chaque communauté a ses couleurs. Il y a certainement les pirogues des villages de Bassoul, Nghadior ou Bassar parmi la multitude. Il faut bien une dizaine d’hommes pour mettre à l’eau et sortir ces embarcations de l’eau.
Le matin de bonne heure on peut voir des dizaines de barques partir ensemble en mer, le spectacle est magnifique. Je constate qu’ils n’ont aucun instrument de navigation à bord, certains partent pourtant pour plus d’une journée et se déplacent bien loin des cotes. Je demande à un pêcheur comment ils font pour se repérer. Il m’explique que c’est le sens des vagues, du vent, la couleur de l’eau et la disposition des étoiles qui sont leurs repères. Ils peuvent, en observant tous ces éléments, savoir où ils sont, vers où aller.
Que ferais-je moi sans mon GPS ?
Je tourne autour d’immenses amas coquilliers, une tradition dans le Saloum. À longueur de journée, des hommes et femmes décortiquent des lambis géants pour les faire sécher. Les coquillages vides sont entassés en de véritables collines sur lesquelles gravitent les chèvres et jouent les enfants.
Ailleurs, des poissons de toutes sortes sont ouverts pour être séchés sur des filets surélevés. Les déchets sont laissés sur place ce qui occasionne des odeurs, disons …fortes (qui a dit nauséabondes ?).
On est loin (dans tous les sens du terme) des directives sanitaires européennes draconiennes.
Attendent sur un parking cabossé des camions réfrigérés qui embarquent le poisson frais certainement en direction de Dakar. L’environnement salin, la piste chaotique ont eu raison des carrosseries à demi rouillées recouvertes de poussière rouge.
Au centre de la presqu’île, une rue de sable est la principale artère du village. En fait, c’est la fin de la route, de la piste qui mène à Djifer . De chaque côté de l’artère rectiligne des maisons à toits plats fabriquées avec des matériaux de récupération. Chiens, poules et chèvres y circulent librement au milieu des passants. Hé ! Je suis Corto Maltese dans un Far West africain.
Pour parfaire l’illusion on passe d’ailleurs la soirée dans une gargote, où se côtoient à la lueur de la bougie, sous un plafond bas, des aventuriers, roots de tous poils. Il y a comme une ambiance de conspiration. Omar m’explique, en murmurant, que le groupe de blancs, là-bas, vient chaque année de France avec un camion chargé d’un tas d’objets. Tout est vendu au fur et à mesure sur la route. En arrivant, ils vendent le camion (de toute façon impossible d’aller plus loin, on est en bout de piste), passent du bon temps à Djifér et repartent pour un autre périple… Hé ! Je suis Indiana Jones…
Le lendemain, je fais part à Omar de mon problème de gasoil. J’ai cherché, ici on ne vend que de l’essence ordinaire ou du mélange, la plupart des moteurs hors-bord des pirogues sont des 2 temps.
On va en trouver, me dit-il.
Omar me présente un jeune garçon et sa mobylette. J’ai besoin de 40 litres de gasoil environ. Je m’assure qu’il sera de bonne qualité. Aucune inquiétude, nous sommes ensemble. (entendre : nos liens sont fraternels et loyaux )
Je n’ai qu’un bidon de 20 litres, faudra-t-il faire 2 allers retour ? Là aussi, pas de problème, on va te trouver un deuxième bidon.
Le jeune garçon me demande si je veux venir. Heummm !…40 litres de gasoil à deux, sur une vieille mobylette rafistolée, au travers d’une piste défoncée…je pense que ça ne va pas le faire. Je décline gentiment l’invitation et paye d’avance.
Le cyclomoteur slalome entre les creux de la route, s’éloigne dans un nuage de latérite rouge.
Je pense récupérer rapidement mes bidons. Omar m’annonce qu’il ne reviendra qu’en fin de journée…(!!!!!!????…)
Effectivement, ce n’est que le soir, 6 heures plus tard, que je récupère mon gasoil. J’hérite d’un bidon supplémentaire qui n’est autre qu’un bidon d’huile d’olive recyclé rouge de poussière.
Où est-il allé me ravitailler ? Je ne le saurais pas.
J’achète de gros coquillages, de gros lambis. La nuit tombée, Omar et un de ses camarades allument un feu sur la plage pour les cuire directement dans leurs coquilles (pas besoin de poêle). Succulent, on se régale. Ambiance enchanteresse.
Le lendemain, nous levons l’ancre pour revenir à Dakar. Je choisis de partir en fin d’après-midi afin de franchir la passe d’entrée du delta de jour. Je ne suis pas sûr que les balises du chenal soient toutes lumineuses. La remontée se fera la nuit pour arriver également de jour à Dakar.
Pas de lune, dans le noir difficile de repérer les nombreuses pirogues qui croisent ma route. Ils ne s’éclairent que par intermittence et par éclats, heureusement qu’ils sont plus rapides que moi et peuvent me voir, j’ai mes feux de navigation. J’entends leur moteur, mais ne les localise pas toujours. Prudence de tous les instants. Hantise de passer en travers d’un filet.
L’ile de Goré est enfin en vue, Ouffenfin retrouve la plage de Hann, mouille devant le CVD, le Centre de Voile de Dakar.
Nghadior
Nghadior
La mission VSF est terminée.
Je suis de nouveau à demeure sur mon bateau mouillé (ancré) au milieu du bolon (un des bras du delta) doucement ballotté au gré des marées. Il va falloir se préparer à revenir sur Dakar pour se mettre en règle vis-à-vis des douanes.
Parfois en fin de journée Seydou, qui est le coordinateur local de VSF, fait une halte avant de rentrer dans son village. Je lui offre un café, des biscuits bretons qu’il adore, on plaisante amicalement, complices.
Il me propose de passer une journée dans son village Nghadior, j’accepte avec plaisir.
Une fois encore je ne peux accéder qu’en annexe au village. Mon bateau, bien que n’ayant qu’un mètre 20 de tirant d’eau, risque de s’envaser en approche. Tout en longeant la mangrove, il faut suivre le bolon principal, être très attentif, compter les bras, prendre la bonne bifurcation, il n’y a pas de panneaux indicateurs ni de cartes. Je m’applique.
Le bolon se rétrécit, s’élargit de nouveau en « étang », je croise des cases traditionnelles puis des maisons en dur, le village est là.
À peine débarqué, je sens que l’accueil est sympathique. Plus que ça…
Comment vous dire…….
Autour de moi tout est sourire et confiance. Un sentiment de bonheur, de plénitude irradie sur moi, je me sens apaisé.
C’est vrai que je suis l’ami de Seydou, je suis invité et attendu, ça aide.
Accompagné de Seydou et d’une ribambelle de gamins délurés, je me promène dans le village. Ma présence amuse beaucoup les enfants, ils se collent à moi, me prennent par la main pour me guider, leurs sourires sont extraordinaires, ils ont de la lumière dans les yeux. On les sent libres de s’ébattre en tous lieux, sans crainte, sous le regard bienveillant des adultes.
Les espaces de circulation tournent autour des maisons, on ne distingue ni rue ni place. Le débarcadère et le petit château d’eau qui le jouxte sont le point de convergence vers lequel se dirigent et repartent habitants et animaux (vaches, chèvres, poules).
Le problème de l’eau (le manque d’eau) est crucial dans le Saloum.
Nghadior est une exception, il possède un puits d’eau douce. Celui-ci ne fonctionne qu’au milieu de l’après-midi, en effet le petit château d’eau est alimenté par des panneaux solaires qui ne délivrent de l’électricité que lorsque les batteries sont à pleine charge. Il faut attendre, il faut faire la queue dès le début de l’après-midi. Les femmes disposent par ordre d’arrivée leurs bidons et bassines le long d’une file d’attente. Une fois les vannes ouvertes tout le monde reprend sa place et se sert au fur et à mesure. On se provisionne jusqu’au lendemain suivant.
Le château d’eau situé près du débarcadère accueille aussi les pirogues des villages voisins chargés à ras bord de bidons. Je crois reconnaître une pirogue de Bassoul. A Bassoul l’eau douce est saumâtre et impropre à la consommation. (l’eau des bolons est fortement salée). Le voyage d’un village à l’autre, le remplissage des bidons et le retour doit bien prendre l’après-midi dans le meilleur des cas.
VSF a beaucoup fait pour aider à la construction de cuves récupérateur d’eau durant la saison des pluies de juillet à septembre (curieusement appelé hivernage). Mais cela ne suffit généralement pas à couvrir tous les besoins. Beaucoup de maladies sont liées au manque d’eau potable.
J’imagine des solutions possibles, peu onéreuses, de dessalinisation d’eau de mer à partir de structures qui fonctionneraient au soleil comme des étuves. Seydou me dit que le gouvernement sénégalais a comme projet d’alimenter le Saloum par un réseau de châteaux d’eau… mais cela coûte cher et ne semble pas possible dans l’immédiat…oui… Cela coûte cher.
On comprend que dans ces conditions de vie épineuse la solidarité entre les membres d’une même communauté est nécessaire à la survie de tous. Ce village marche à l’unisson, l’entraide y est naturelle.
On m’interpelle sur mon chemin pour me proposer du thé ou un verre de bissap (boisson faite à partir des fleurs d’hibiscus séchés), on me donne la meilleure place à l’ombre.
Je retrouve plus loin le pêcheur qui relevait ses filets près de mon bateau. J’allais en annexe lui acheter directement du poisson. Il me reconnaît et semble, comme moi, ravi de me revoir. Assis sur un tas de
filets en réparation il m’invite à repriser les mailles et m’apprend. Je passe un excellent moment en sa compagnie et celle de ses amis venus pour l’aider. Zénitude.
Je suis invité à manger une version du thiéboudienne au couscous de mil. On mange entre hommes , les femmes mangent à part. La cuisine est faite par une tante qui produit la quantité suffisante pour 3 ou 4 familles.
Assis sur le « perron » de la maison de Seydou, j’observe la rue. Une jeune femme sort de la maison, elle dispose un mortier et deux pilons à côté d’elle. On lui amène une grande bassine de mil. Elle commence à piller. Je me dis que vu la quantité de mil cela va être un travail épuisant.
À peine 5 minutes plus tard, une femme s’arrête, prend le deuxième pilon et pille en rythme avec elle. Une troisième prend le pilon et la remplace. Tout en travaillant, elles se racontent des histoires, rient et papotent à tout va. Au fur et à mesure des passages, il y aura une ronde d’une dizaine de femmes qui vont piller le mil à tour de rôle dans une grande ambiance de convivialité.
Une demi-heure plus tard, sans effort, en plein passage, la grande bassine est pleine de mil pillé.
Je pense tenir là une image symbolique de l’entente et de la cohésion sociale au sein de la communauté villageoise.
J’ai filmé de mon poste toute la scène, vous trouverez le film dans la partie documentaire.
J’éprouve le désir de rester, m’installer ici au bord de l’eau, au fil du temps, de vivre en harmonie au coeur d’une communauté paisible.
Ce doit être ça la magie de l’Afrique.
Mission suite
Kirikou
Yannick décidément infatigable organise pour les enfants une séance de projection de dessin animé dans la cour de l’école primaire de Bassoul. Il récupère un vidéo projecteur et « négocie » pour la sono ampli, table de mixage et enceintes chez le geek du coin. Un grand drap est « tendu » sur un des murs de l’école.
Ce soir , c’est Kirikou sur grand écran.
Là où l’on attendait une trentaine d’enfants, ils déboulent de partout….Incroyable comment l’information a t’elle pu circuler si vite ? Combien : 200 enfants ? Le « service d’ordre » adulte fait ce qu’il peut et tente d’organiser l’espace. Évidemment tout le monde veut être devant, il y en a même qui se mettent derrière l’écran (après tout pourquoi pas).
Joyeuse ambiance, mais ….. Compressée.
La projection démarre, le son est tout simplement inaudible. On ne comprend pas les paroles, la musique grésille et déchire les oreilles.
Le geek en gestes inspirés manipule à tout va sa table de mixage, augmente le son, titille basses et aigus, c’est difficilement supportable.
Peu importe, le public suit. En fait , je m’aperçois qu’ils connaissent déjà Kirikou et en sont fans. Ils connaissent les répliques par coeur. J’en suis bouche bée. Kilukru ?
Michel Ocelot apprécierait (l’ambiance…. pas le son).
Kirikou en personne est venu assister à la projection .
NIDIOGOYE NE (LE LION)
Toute l’équipe VSF du voilier Yobalema doit s’en aller, sa mission est terminée.
Je reste à proximité de Bassoul encore quelque temps, sans eux. J’ai demandé à Doudou Sarr le directeur de l’école s’il est intéressé par la fabrication d’un film d’animation en création collective avec des enfants de sa classe. Je l’ai convaincu en animant un tampon encreur sur son bureau avec mon appareil photo. Magie, magie….
Nous avons une semaine devant nous ce qui est très court. Je dois retourner à Dakar sans tarder ensuite, car les papiers de séjour du bateau vont arriver à expiration.
Je lui demande de réunir 10 élèves motivés de 10 à 11 ans. C’est une tranche d’âge propice à ce type d’exercice. Ils sont capables de comprendre sans soucis les principes mécaniques de l’animation image par image (la persistance rétinienne, essence du cinéma) et débordent d’imagination sans retenue.
Plus de filles que de garçons.
Nous trouvons un local qui est en fait une remise. On pousse les fruits de baobabs et autres babioles. J’installe un plateau de tournage sur une table, je veux filmer en volume animé. J’ai remarqué la grande habileté qu’ils ont à fabriquer leurs propres jouets avec tout ce qu’ils trouvent sous la main (boîtes de conserve, fils de fer, bâtons, tissus, etc..).
J’interviens en périscolaire, donc, seuls les enfants motivés viendront, par contre je ne peux bénéficier que de 2 à 3 heures de séance par jour.
Doudou m’accompagne et fait le lien avec les enfants.
Je leur ai donc demandé d’apporter chacun un objet, un jouet leur appartenant. Il s’agit de construire une histoire avec tout cela.
Lorsque je parle, ils m’écoutent… Jusque là, tout va bien… Sauf que, les yeux grands ouverts, fixés sur moi, au garde-à-vous, aucun ne s’exprime. Je les titille, cherche à les faire rebondir sur des associations d’idées… Le groupe reste muet.
Grand moment de solitude… Glups !
Si on n’arrive pas à inventer une histoire, pas de film…
Il me semble qu’ils sont plus fascinés plus par ce que je suis (un toubab, un blanc) que par ce que je raconte.
Je demande à Doudou de m’aider.
Il m’explique qu’a leurs yeux je suis le professeur, un professeur on l’écoute sans parler, de plus je parle français qui est la langue scolaire.
Entre eux les enfants parlent en langue Sérère spontanément, je demande donc à Doudou de traduire ce que je dis et qu’à leur tour ils s’expriment directement dans leur langue native.
Et là !….Bingo ! les langues se délient, les yeux s’allument, on s’amuse enfin, une histoire prend forme. En Sérère.
NIDIOGOYE NE (LE LION)
« Une maman prépare le repas avant l’arrivée de son mari. Elle se dépêche, car elle est en retard. Un lion surgit dans le village. Elle se cache derrière un arbre. Le lion ne l’a pas vu, il s’en va, ouf ! La nuit tombe, il faut faire vite avant que le lion ne revienne. »
Après une brève initiation à la technique de l’image par image (tout le monde comprend le principe), l’élaboration d’un story board, on installe le décor et le tournage peut commencer.
Pas facile de réunir autour de la caméra durant 5 jours tout ce petit monde, je me demande parfois si je ne suis pas un sujet de curiosité plus important que le projet de film lui-même.
Miracle du numérique, on peut visionner immédiatement ce qui l’on vient de faire, bien pratique pour motiver la troupe.
En fin de tournage je monte bout à bout les plans tournés pour que les enfants puissent « doubler » les dialogues en langue Sérère. Je garde précieusement la traduction des textes en français pour sous-titrer le film.
La musique je la trouve dans la rue. Une bande de joyeux drilles m’offre un récital à l’aide d’un bérimbau artisanal : un arc, une boîte de conserve comme caisse de résonance et un sacré sens de rythme. Fascinant.
Globalement l’objectif est atteint, ce film leur ressemble. C’est sur, avec un peu plus de temps, j’aurais pu aller plus loin avec eux sur un plan artistique. On aurait pu fabriquer des décors plus sophistiqués. Leur potentiel créatif est important, notamment en ce qui concerne la fabrication des personnages, objets miniatures (voitures, charrette, instruments de musique…) Ils sont capables de véritables prouesses d’ingéniosité, voir comment ils fabriquent leurs jouets avec de simples éléments, des détournements, comme du fil de fer, du bois taillé, des boîtes de conserve, etc..
Le film est dans : visages/des films d’animation/le lion
Une copie du film terminé est bien sûr confiée au directeur de l’école enchanté de cette expérience.
Cette intervention m’a permis de passer du temps avec l’équipe d’instituteurs de l’école de Bassoul. À midi, je partage avec eux un thiéboudienne, plat national sénégalais. Leur gentillesse et leur accueil sont sans égal. Après les ablutions et la prière d’une partie d’entre eux, assis au sol en tailleur , nous mangeons dans le même grand plat pour un très agréable moment de convivialité.
Attachés au principe de laïcité, ils se plaignent des classes surchargées, du manque d’effectifs et des formations de plus en plus brèves des maîtres.
J’apprends que le meilleur salaire auquel ils peuvent prétendre s’élève à hauteur de 300 euros par mois environ (au Sénégal, le salaire moyen est de 100 euros par mois). Difficile pour eux d’avoir accès aux technologies modernes trop onéreuses. Mais nous sommes en Afrique, les rares ordinateurs se partagent, le téléphone se paye à la carte, le moindre souffle de wifi est capté et malgré les pannes d’électricité quotidiennes on se débrouille pour être informé du monde contemporain.
Bien qu’ils soient tous d’origine Sérères, le village ne semble pas les assimiler complètement, cela renforce leur sentiment d’isolation.
Bassoul est l’un des endroits les plus difficiles à intégrer du Saloum. On n’y est pas accueilli avec la même spontanéité que dans les localités alentour. Les mariages se font à l’intérieur du village (d’où la propagation de l’albinisme). J’émets l’hypothèse que c’est l’albinisme lui-même qui, avec sa charge de superstitions, serait vécu comme une malédiction. Le serpent qui se mord la queue.
Mission VSF 1
Après 3/4 d’heure d’annexe dans la mangrove nous pénétrons dans le village de Bassoul. Je suis chargé de mon matériel de tournage (deux appareils photos Lumix….). Lire la suite
Combo Niños
Esprit fantôme