Kirikou
Yannick décidément infatigable organise pour les enfants une séance de projection de dessin animé dans la cour de l’école primaire de Bassoul. Il récupère un vidéo projecteur et « négocie » pour la sono ampli, table de mixage et enceintes chez le geek du coin. Un grand drap est « tendu » sur un des murs de l’école.
Ce soir , c’est Kirikou sur grand écran.
Là où l’on attendait une trentaine d’enfants, ils déboulent de partout….Incroyable comment l’information a t’elle pu circuler si vite ? Combien : 200 enfants ? Le « service d’ordre » adulte fait ce qu’il peut et tente d’organiser l’espace. Évidemment tout le monde veut être devant, il y en a même qui se mettent derrière l’écran (après tout pourquoi pas).
Joyeuse ambiance, mais ….. Compressée.
La projection démarre, le son est tout simplement inaudible. On ne comprend pas les paroles, la musique grésille et déchire les oreilles.
Le geek en gestes inspirés manipule à tout va sa table de mixage, augmente le son, titille basses et aigus, c’est difficilement supportable.
Peu importe, le public suit. En fait , je m’aperçois qu’ils connaissent déjà Kirikou et en sont fans. Ils connaissent les répliques par coeur. J’en suis bouche bée. Kilukru ?
Michel Ocelot apprécierait (l’ambiance…. pas le son).
Kirikou en personne est venu assister à la projection .
NIDIOGOYE NE (LE LION)
Toute l’équipe VSF du voilier Yobalema doit s’en aller, sa mission est terminée.
Je reste à proximité de Bassoul encore quelque temps, sans eux. J’ai demandé à Doudou Sarr le directeur de l’école s’il est intéressé par la fabrication d’un film d’animation en création collective avec des enfants de sa classe. Je l’ai convaincu en animant un tampon encreur sur son bureau avec mon appareil photo. Magie, magie….
Nous avons une semaine devant nous ce qui est très court. Je dois retourner à Dakar sans tarder ensuite, car les papiers de séjour du bateau vont arriver à expiration.
Je lui demande de réunir 10 élèves motivés de 10 à 11 ans. C’est une tranche d’âge propice à ce type d’exercice. Ils sont capables de comprendre sans soucis les principes mécaniques de l’animation image par image (la persistance rétinienne, essence du cinéma) et débordent d’imagination sans retenue.
Plus de filles que de garçons.
Nous trouvons un local qui est en fait une remise. On pousse les fruits de baobabs et autres babioles. J’installe un plateau de tournage sur une table, je veux filmer en volume animé. J’ai remarqué la grande habileté qu’ils ont à fabriquer leurs propres jouets avec tout ce qu’ils trouvent sous la main (boîtes de conserve, fils de fer, bâtons, tissus, etc..).
J’interviens en périscolaire, donc, seuls les enfants motivés viendront, par contre je ne peux bénéficier que de 2 à 3 heures de séance par jour.
Doudou m’accompagne et fait le lien avec les enfants.
Je leur ai donc demandé d’apporter chacun un objet, un jouet leur appartenant. Il s’agit de construire une histoire avec tout cela.
Lorsque je parle, ils m’écoutent… Jusque là, tout va bien… Sauf que, les yeux grands ouverts, fixés sur moi, au garde-à-vous, aucun ne s’exprime. Je les titille, cherche à les faire rebondir sur des associations d’idées… Le groupe reste muet.
Grand moment de solitude… Glups !
Si on n’arrive pas à inventer une histoire, pas de film…
Il me semble qu’ils sont plus fascinés plus par ce que je suis (un toubab, un blanc) que par ce que je raconte.
Je demande à Doudou de m’aider.
Il m’explique qu’a leurs yeux je suis le professeur, un professeur on l’écoute sans parler, de plus je parle français qui est la langue scolaire.
Entre eux les enfants parlent en langue Sérère spontanément, je demande donc à Doudou de traduire ce que je dis et qu’à leur tour ils s’expriment directement dans leur langue native.
Et là !….Bingo ! les langues se délient, les yeux s’allument, on s’amuse enfin, une histoire prend forme. En Sérère.
NIDIOGOYE NE (LE LION)
« Une maman prépare le repas avant l’arrivée de son mari. Elle se dépêche, car elle est en retard. Un lion surgit dans le village. Elle se cache derrière un arbre. Le lion ne l’a pas vu, il s’en va, ouf ! La nuit tombe, il faut faire vite avant que le lion ne revienne. »
Après une brève initiation à la technique de l’image par image (tout le monde comprend le principe), l’élaboration d’un story board, on installe le décor et le tournage peut commencer.
Pas facile de réunir autour de la caméra durant 5 jours tout ce petit monde, je me demande parfois si je ne suis pas un sujet de curiosité plus important que le projet de film lui-même.
Miracle du numérique, on peut visionner immédiatement ce qui l’on vient de faire, bien pratique pour motiver la troupe.
En fin de tournage je monte bout à bout les plans tournés pour que les enfants puissent « doubler » les dialogues en langue Sérère. Je garde précieusement la traduction des textes en français pour sous-titrer le film.
La musique je la trouve dans la rue. Une bande de joyeux drilles m’offre un récital à l’aide d’un bérimbau artisanal : un arc, une boîte de conserve comme caisse de résonance et un sacré sens de rythme. Fascinant.
Globalement l’objectif est atteint, ce film leur ressemble. C’est sur, avec un peu plus de temps, j’aurais pu aller plus loin avec eux sur un plan artistique. On aurait pu fabriquer des décors plus sophistiqués. Leur potentiel créatif est important, notamment en ce qui concerne la fabrication des personnages, objets miniatures (voitures, charrette, instruments de musique…) Ils sont capables de véritables prouesses d’ingéniosité, voir comment ils fabriquent leurs jouets avec de simples éléments, des détournements, comme du fil de fer, du bois taillé, des boîtes de conserve, etc..
Le film est dans : visages/des films d’animation/le lion
Une copie du film terminé est bien sûr confiée au directeur de l’école enchanté de cette expérience.
Cette intervention m’a permis de passer du temps avec l’équipe d’instituteurs de l’école de Bassoul. À midi, je partage avec eux un thiéboudienne, plat national sénégalais. Leur gentillesse et leur accueil sont sans égal. Après les ablutions et la prière d’une partie d’entre eux, assis au sol en tailleur , nous mangeons dans le même grand plat pour un très agréable moment de convivialité.
Attachés au principe de laïcité, ils se plaignent des classes surchargées, du manque d’effectifs et des formations de plus en plus brèves des maîtres.
J’apprends que le meilleur salaire auquel ils peuvent prétendre s’élève à hauteur de 300 euros par mois environ (au Sénégal, le salaire moyen est de 100 euros par mois). Difficile pour eux d’avoir accès aux technologies modernes trop onéreuses. Mais nous sommes en Afrique, les rares ordinateurs se partagent, le téléphone se paye à la carte, le moindre souffle de wifi est capté et malgré les pannes d’électricité quotidiennes on se débrouille pour être informé du monde contemporain.
Bien qu’ils soient tous d’origine Sérères, le village ne semble pas les assimiler complètement, cela renforce leur sentiment d’isolation.
Bassoul est l’un des endroits les plus difficiles à intégrer du Saloum. On n’y est pas accueilli avec la même spontanéité que dans les localités alentour. Les mariages se font à l’intérieur du village (d’où la propagation de l’albinisme). J’émets l’hypothèse que c’est l’albinisme lui-même qui, avec sa charge de superstitions, serait vécu comme une malédiction. Le serpent qui se mord la queue.